L’aromathérapie cumulent de nombreux paradoxes. Les huiles essentielles (HE) sont des concentrés de principes actifs qui dégagent des arômes délicats. Leur activité est puissante sur la peau devient subtile quand elles sont respirées ou fortement diluées.
Leur statut est également paradoxal. Elles sont très actives et potentiellement dangereuses, et cependant en vente libre. Très efficaces dans certaines situations, et pourtant non reconnues par la science médicale.
Ces paradoxes sont le fait de leurs complexité. Ils s’éclairent en précisant comment les HE agissent, notamment en combinant une action curative et informative.
1. Les deux courants de l’aromathérapie
On distingue aujourd’hui deux mouvances dans l’utilisation des huiles essentielles, couramment qualifiées de « scientifique » et « énergétique ».
❍ L’
aromathérapie scientifique est parfois appelée aromathérapie française. Elle s’est construite dans la lignée des travaux de René-Maurice Gatefossé et Jean Valnet. Son aboutissement est arrivé dans la seconde moitié du XX
e siècle avec
Pierre Franchomme. L’analyse devenue possible de la composition des HE par chromatographie a permis une caractérisation biochimique de ces produits, introduisant la notion de chémotype. Les activités observées ont ainsi été reliées à la présence de principe actifs, davantage qu’à la plante d’origine. Cell-ci, selon son terroir et ses conditions de culture, peut donner des HE de nature très différentes. Les diverses connaissances sur les principes actifs aromatiques, rassemblées et synthétisées, ont permis de proposer une description rationnelle des différentes HE. Les propriétés attendues et les risques potentiels y sont bien identifiés. L’usage qui en découle permet à la fois d’associer des HE différentes en fonction de la complémentarité de leurs actifs aromatiques, et d’indiquer les règles de sécurité pour éviter leurs effets néfastes. C’est l’immense travail de Pierre Franchomme, à partir de 800 références de la littérature scientifique. Cette synthèse est consignée dans le livre «
L’aromathérapie exactement », qui a servi de base commune à tous ceux qui proposent depuis une approche scientifique de l’aromathérapie, notamment Dominique Baudoux.
❍ L’aromathérapie énergétique a une filiation moins claire. On y trouve plusieurs courants avec notamment l’approche psycho-émotionnelle proposée en 1992 par Gilles Fournil sous le nom d’olfactothérapie, les utilisations à visée de bien-être développées dans les pays anglo-saxons, et les diverses propositions en lien avec les méthodes traditionnelles orientales, ayurvédiques ou chinoises. À la différence de l’aromathérapie scientifique, les diverses contributions reposent sur des expériences personnelles subjectives qui apportent une multitude d’informations différentes, sans synthèse consensuelle. Selon les ouvrages consultés, les propriétés subtiles des HE ne sont pas les mêmes. Et c’est là que commence une certaine confusion…
2. Action curative ou informative, deux mondes différents
De manière simplifiée, une action curative exerce un effet direct et reproductible sur une fonction biologique, avec un mécanisme qui peut s’expliquer et qui peut être évalué par un essai contrôlé. Une action informative exerce un effet sur le modèle organisateur psychique ou biologique, avec un effet qui peut varier selon l’adhésion et l’implication de la personne et aussi selon le contexte. De ce fait il est illusoire de vouloir l’évaluer par des essais contrôlés qui ne sont pas adaptés à ce type d’action.
Selon la méthode d’utilisation des HE, l’effet principal recherché peut être curatif ou informatif. Il sera cependant impossible de séparer complètement ces deux aspects. Avec un peu de l’un dans l’autre et de l’autre dans l’un, la complexité est inévitable et le non-discernement de ces deux modes d’actions conduit à des confusions dans les discours.
3. Cinq niveaux d’explications pour comprendre la complexité des HE
Quand une HE exerce un effet, et que celui-ci peut être observé et même reproduit, il est clair que cet effet existe. Pour l’expliquer complètement, il faudrait maîtriser ce qui se passe à chacun des 5 niveaux suivants et comment ces niveaux interfèrent entre eux.
3.1. Chémotype
Le chémotype des HE est la base de l’aromathérapie scientifique. Selon la nature des familles d’actifs aromatiques, il est possible de déterminer les propriétés générales et les effets potentiellement néfastes. Par exemple une HE contenant en proportion notable des aldéhydes aromatiques aura des propriétés antiseptiques avec un très large spectre, et sera fortement dermocaustique si elle n’est pas convenablement diluée. La majorité des propriétés attribuées aux HE sont issues de cette connaissance.
3.2. Les composants spécifiques
Une HE chémotypée ne contient pas que les actifs majoritaires qui la caractérisent. On y trouve une multitude d’autres substances, en quantité plus ou moins notable, avec parfois des propriétés spécifiques. Il y a des situations évidentes, comme celle de l’Hélichryse italienne. Les italidiones n’expliquent pas l’action anti-hématome remarquable observée par les propriétés générales de leur famille biochimique (les cétones), mais bien par celles spécifiques de ces composants propres à cette plante. Les propriétés hypnotiques observées avec le Lédon du Groenland ne s’expliquent pas par les composants majeurs de cette HE, et pourraient être liées à un sesquiterpénol rarement mentionné dans les compositions : le lédol. Ces composants spécifiques plus ou moins bien connus, parfois actifs à très faible dose, sont une explication possible aux propriétés attribuées aux HE et non explicable par le chémotype classique.
3.3. Les synergies en actifs
Dans les HE, comme dans les plantes et contrairement aux médicaments, les actifs sont multiples et agissent en concert. Dans cette complexité vivante, l’effet global ne se résume pas à l’addition des propriétés de tous les composants connus. Parfois, les synergies entre plusieurs substances conduisent à l’émergence de propriétés nouvelles, non prévisibles avec une logique linéaire de cumul. À ce niveau les choses commencent à se compliquer réellement. Certaines propriétés spécifiques non évidentes à la lumière de la nature des composants identifiés pourraient s’expliquer ainsi.
3.4. Propriétés énergétiques et/ou informatives
L’interaction des HE avec l’organisme, par la stimulation de récepteurs olfactifs, d’interactions avec l’ADN (épigénétique) ou avec le corps vibratoire, peut générer des effets de nature informative. Ceux-ci sont liés à la qualité et non la quantité de substance. Ils sont variables selon les personnes et le contexte, et amplifiés par la répétition des contacts avec l’HE et non avec la dose. La réalité de ce niveau d’action se vérifie par des expériences vécues de manière répétée. Sa subjectivité se constate par la grande diversité des expériences et les descriptions très variables que l’on trouve dans les ouvrages qui traitent de cet aspect.
3.5. L’effet placebo
Il est indissociable de toute action vécue comme thérapeutique, avec son versant nocebo qui peut bloquer les effets subtils quand il y a un scepticisme à leur égard. On sait aujourd’hui qu’un simple effet placebo peut avoir des actions physiologiques remarquables, c’est pourquoi de simples témoignages sur des effets bénéfiques de HE ne pourront jamais constituer une preuve.
4. Le problème de la grande variabilité de la composition des HE
L’introduction des chémotypes a permis une séparation éclairante entre certaines HE, notamment de thym et de romarin, dont les compositions peuvent être radicalement différentes d’une production à l’autre. Cela n’empêche pas que pour un même chémotype, les compositions de deux HE d’origine différente, de productions successives d’une même culture, ou encore de distillations différentes, peuvent avoir des variations de composition notables. Celles-ci peuvent concerner les quantités respectives des actifs majeurs et la présence ou non d’autres composants, mineurs en quantité, et parfois essentiels à l’expression de certaines propriétés attendues.
En consultant la composition biochimique du même chémotype annoncé d’une HE sur plusieurs ouvrages ou sites vendeurs, les écarts observés sont tels qu’ils discréditent la valeur de toute information généralisée qui donne un chiffre précis. Les quantités de chaque actif devraient être indiquées avec un éventail de possibilité correspondant à la diversité des HE existantes, ou alors préciser l’origine. Acheter un flacon d’HE sans avoir la fiche de contrôle chromatographique indiquant l’analyse de sa composition ne donne aucune garantie sur les propriétés de l’HE contenue dans ce flacon. D’autre part, les propriétés annoncées pour une HE chémotypée sans la précision d’un minimum de présence des actifs concernés par ces propriétés sont un manque de rigueur préjudiciable à la crédibilité de l’aromathérapie.
5. La confusion généralisée véhiculée par les livres et les sites d’aromathérapie
Il existe de nombreux livres sur l’aromathérapie, souvent construits sur le même modèle, avec d’une part des monographies d’HE indiquant de multiples vertus et indications, et d’autre part des formules spécifiques pour diverses situations cliniques courantes. Certains sites internet fournissent aussi ces informations en ligne.
Le fait de consulter et comparer ces diverses sources conduit à deux constatations :
– On peut soigner beaucoup de chose avec une seule HE, la même chose avec de multiples HE, et on se demande pourquoi il y en en une centaine et que l’on se donne tant de mal à fournir tant de détails pour chacune.
– Selon les auteurs, ce ne sont jamais les mêmes formules qui sont proposées pour une même situation, montrant à quel point ces formules sont chargées d’une touche personnelle de l’auteur.
Cette réalité est regrettable, car elle crée beaucoup de confusions, et ne favorise pas la crédibilité d’une aromathérapie rigoureuse appuyée sur une connaissance consensuelle.
Il serait vraiment intéressant de différencier les propriétés majeures et spécifiques de chaque HE, afin de la choisir spécifiquement dans ses indications essentielles, afin de les séparer des autres qui sont générales et que beaucoup d’autres peuvent apporter. Il serait également utile qu’une formule proposée sur une vitrine publique, c’est-à-dire pouvant être reprise par le tout-venant dont on ne connaît pas le contexte, soit accompagnée des motivations du choix de chaque HE : base commune de l’aromathérapie scientifique, intuition ou expérience personnelle de l’auteur.
6. Comment faire de l’aromathérapie l’outil d’une science médicale nouvelle
La spécificité des HE parmi les produits de santé naturels, commune avec les extraites de plantes de qualité, est de cumuler deux types d’effets différents. Les premiers, curatifs, liés à des principes actifs ont une présence qui peut être vérifiée par analyse et des vertus qui peuvent être validées par des essais contrôlés. Les seconds, plus subtils propices à des interprétations personnelles, et à une individualisation des conseils en fonction du sujet concerné et de sa situation.
L’aspect curatif permet de valider des propriétés générales attendues et de garantir la sécurité. La base d’information fournie par Pierre Franchomme, il y a une vingtaine d’années, mériterait d’être réévaluée et complétée par les apports récents de la littérature scientifique, afin de constituer une base de données complète sur principes actifs aromatiques. Une telle base commune et documentée nous manque aujourd’hui. Cette activité curative qui répond parfaitement aux exigences actuelles de la validation scientifiques pourrait ainsi faire l’objet d’allégations et de confirmation par des essais cliniques. Elle permettrait de construire des propositions rationnelles comme cette suggestion pour les
infections virales respiratoires (en lien).
En respectant la base scientifique qui garantit certaines activités recherchées et la sécurité d’utilisation, il reste une porte ouverte à chaque praticien pour personnaliser son utilisation par sa propre expérience et l’adaptation nécessaire aux aspects spécifiques de la situation révélée par la relation d’accompagnement.
L’ouverture aux subtilités qui dépassent la connaissance rationnelle actuelle n’est pas contradictoire avec la rigueur scientifique qui donne un socle sécuritaire à l’utilisation.
Quand l’un et l’autre sont à leur place, les conditions d’une nouvelle science de la santé, intégrative, sont posées.
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DOSSIERS APPROFONDIS SUR LES CLASSES DE PRINCIPES ACTIFS EN AROMATHÉRAPIE SCIENTIFIQUE
Un exposé éclairant sur l’usage des huiles essentielles aujourd’hui dans le domaine de la santé, et plus particulièrement en cette époque tourmentée où les remèdes dits « naturels » fusent de toutes parts.
Je me rends compte, en tant que naturopathe, de l’intérêt d’une médecine intégrative pour laquelle plaide Jacques Boislève et j’ai envie de rappeler que cette approche se construit et repose sur les bases d’une hygiène de vie, intégrant l’alimentation, le mouvement et la gestion des émotions.
La nature et ses plantes offrent à l’être humain un trépied avec des processus qui le nourrissent avec les légumes et les fruits, des processus qui le soignent avec les plantes médicinales sous différentes formes galéniques et les huiles essentielles, et des processus qui lui permettent d’évoluer avec les huiles essentielles et les élixirs floraux. Cela montre l’importance des huiles essentielles qui peuvent agir à deux niveaux selon la façon dont on va les utiliser, ce qui est souligné dans cet article. Merci à Jacques pour son approche scientifique et l’ouverture qu’apportent ses réflexions en réunissant deux mondes qui œuvrent dans le domaine de la santé et auraient tout à gagner à collaborer.
NB : le trépied que j’évoque et qui m’a permis de mieux appréhender le vivant m’a été inspiré par l’approche ternaire que Jacques Boislève propose dans les livres « La dynamique triangulaire de la vie » et « Santé vivante »