Les coumarines sont l’un des groupes de principes actifs en aromathérapie.
Les huiles essentielles peuvent être abordées de diverses manières. L’aromathérapie scientifique pose une base rigoureuse en précisant les propriétés validées par des recherches rigoureuses et les risques qui nécessitent des précautions d’emploi. Elle est le socle d’une approche globale de l’aromathérapie.
La coumarine est un double cycle à 9 carbones : le dihydro benzopyrane avec un groupe cétone en 2, qui contient un groupement lactone (ester inclut dans un cycle).
On appelle globalement coumarines plusieurs centaines de composés qui se différencient par les groupements et chaînes fixés sur le double cycle de base.
On appelle couramment coumarines les dérivés coumariniques présents dans les HE ont trois caractéristiques qui créent une grande complexité dans leur action thérapeutique et de leur toxicité :
– Une variété de structures associée à une variété de propriétés
– Des quantités faibles et variables d’un produit à l’autre pour une même HE selon l’origine de la plante et la qualité de la distillation la teneur en coumarine est liée à la longueur de la distillation, alors que celle-ci est souvent raccourcie pour gagner du temps et faire des économies
– L’activité est intense, elle commence avec de très faibles doses et varie de manière notable quand les proportions augmentent (tout en restant faibles)
I – Huiles essentielles contenant des coumarines
La coumarine est présente en quantité notable dans les cannelles (surtout la cannelle de Chine)
Les dérivés coumariniques se trouvent principalement dans deux familles botaniques :
– Les apiacées (ex-ombellifères), dont plusieurs espèces sont utilisées en aromathérapie : angélique, anis, benjoin, carotte, carvi, céleri, coriandre, cumin, khella.
– Les rutacées qui incluent les agrumes (genre Citrus) et les rues (genre Ruta)
On les retrouve secondairement dans d’autres familles, notamment certaines lamiacées (ex labiées), plus particulièrement les lavandes et la mélisse, ainsi que certaines astéracées (ex composées) notamment l’estragon et la matricaire.
De nombreuses monographies signalent la présence de furocoumarines photosensibilisantes dans l’HE de verveine odorante, dans la continuité de ce qui est mentionné dans un ouvrage de référence datent de 2001 (1). Certaines études sur la plante signalent la présence de dérivés coumariniques, mais aucun n’est détecté dans les analyses chromatographiques après distillation et il n’existe pas d’observation décrite de phototoxicité liée à cette HE.
II – L’importance de la distillation
La présence des dérivés coumariniques dans les huiles essentielles dépend de l’espèce végétale, de son cultivar (là où elle est cultivée et/ou récoltée), et de manière notable de la qualité de la distillation. Ces dérivés sont effets difficiles à extraire, et vont apparaître à la fin.
C’est ainsi que le Yuzu, préparé par distillation alors que les autres agrumes le sont par expression, est la seule HE de Citrus quasiment dépourvue de dérivés coumariniques.
À l’inverse, une lavande sauvage longuement distillée sera enrichie de dérivés qui vont apporter un supplément d’effet sédatif.
Globalement, pour les apiacées qui sont toutes distillées, il faut s’attendre à une richesse en dérivés coumariniques plus importante dans les produits de qualité, qui ne réduisent pas le temps de distillation pour réduire les coûts de production.
III – Classification des dérivés coumariniques
Les principaux composés coumariniques que l’on retrouve dans les huiles essentielles sont regroupés dans un schéma des structures biochimiques et un tableau récapitulatif en document attaché.
Ils dérivent tous de la coumarine du produit de son hydroxylation en position 7 : l’ombelliférone qui nous rappelle que la famille des apiacées (ombellifères) est particulièrement concernée.
On distingue du point de vue des propriétés
– La coumarine simple.
– Les dérivés coumariniques simples : hydroxycoumarines et éthers-coumarines, dont les plus simples sont les méthoxycoumarines.
– Les dérivés furocoumariniques, dérivant du psoralène, qui peuvent être linéaires ou angulaires.
– Les dérivés pyranocoumariniques.
IV – Propriétés thérapeutiques des composés coumariniques
Les dérivés coumariniques sont actifs à faibles doses, ils sont donc à prendre en compte alors qu’ils sont présents en quantité très faible (< 0,5%).
Leur effet le plus marquant est une sédation du système nerveux central en abaissant son seuil de réactivité. Cela conduit à un effet calmant, hypnotique, et anticonvulsivant.
Il y a également un effet hypothermisant modéré.
On observe au niveau vasculaire un effet hypotenseur (lié à la sédation centrale) et pour certains composés une action antiagrégante plaquettaire.
Il n’y a pas d’effet anticoagulant avec les coumarines en aromathérapie (cf. effets secondaires).
L’effet antispasmodique sur les muscles lisses est particulièrement marqué pour la visnadine (présente dans le khella), avec un effet vasodilatateur coronarien, bronchodilatateur et utérorelaxant.
V – Effets indésirables des coumarines
Les effets indésirables des coumarines sont souvent généralisés, ce qui conduit à l’exagération, alors qu’il y a une complexité liée à la diversité de comportement des diverses structures.
1. Effet photosensibilisant/phototoxique
Il est décrit de manière précise pour les furanocoumarines linéaires. Il y a en leur présence sous l’influence du soleil un accroissement de synthèse de la mélanine qui facilite le bronzage, et une attaque de l’ADN qui favorise la mutagenèse et la cancérogenèse, avec un danger réel. Les HE concernées sont des apiacées (angélique, céleri, cumin khella, livèche, persil) et des rutacées (agrumes).
Le risque, s’il existe, est beaucoup plus faible pour les furanocoumarines angulaires et les pyranocoumarines. Il n’est pas décrit pour les coumarines simples
La photosensibilisation et la phototoxicité qui l’accompagne sont maximales par voie cutanée, nettement plus faible par voie orale.
Il est difficile d’évaluer la phototoxicité liée aux furocoumarines d’une HE, cela dépend de l’espèce, des conditions de culture et de récolte, des conditions de préparation, que ce soit par expression/centrifugation ou distillation, et de la sensibilité de l’organisme concerné. Le seul repère auquel on peut se fier est une analyse chromatographique complète (y compris avec les composés à l’état de traces) indiquant la présence ou non de furocoumarines, quand elle est disponible.
L’HE de bergamote obtenue par expression des zestes est considérée comme la plus photosensibilisante, c’est pourquoi il existe des préparations sans furocoumarines pour lesquelles l’expression est suivie d’une distillation.
Un repère général sur le niveau de risque en fonction des HE a été donné dans l’ouvrage Essentiel Oil Safety (2). Il en conclut qu’une présence inférieure à 0,5 % est sécure quelle que soit l’HE, ce qui n’est pas compatible avec les mélanges l’habituels de l’aromathérapie scientifique française. La liste suivante classe les HE et indique la dilution totalement sécure à laquelle elle peuvent être utilisées :
• Risque élevé
– Bergamote (Citrus aurantium ssp. bergamia) – zeste : 0,4 %
– Cumin (Cuminum cyminum) – semences : 0,4%
• Risque notable
– Lime (Citrus limetta) – zeste : 0,7 %
– Angélique (Angelica archangelica) – racine et semence : 0,8 %
– Orange amère (Citrus aurantium) – zeste : 1,25%
– Citron (Citrus limon) – zeste : 2 %
– Pamplemousse (Citrus paradisii) -zeste : 4 %
• Risque possible
– Verveine (Lippia citriodora) – feuilles
– Céleri (Apium graveolens) – feuilles et plante entière
– Khella (Ammi visnaga) – semences
• Absence de risque parmi les rutacées (agrumes)
– Mandarine (Citrus reticulata) – zeste
– Orange douce (Citrus sinensis) – zeste
Dans tous les cas, pour les HE potentiellement phototoxiques utilisées en applications cutanées dans des proportions supérieures à 0,5 % (4 gouttes dans 25 ml), il est prudent d’attendre 8-10 heures avant une exposition au soleil. Donc les appliquer en fin de journée si le temps est ensoleillé.
2. Interactions médicamenteuses
Certaines furanocoumarines (bergamottine et dihydrobergamoptine) présentes dans les essences d’agrumes et plus particulièrement le pamplemousse et la bergamote sont des inhibiteurs des cytochromes 3A4 et peuvent ainsi augmenter la durée de vie de nombreux médicaments, avec un risque faible de surdosage lors d’un usage habituel du fait des concentrations réduites.
3. Effet anticoagulant
Les coumarines ont un risque général d’effet anticoagulant lié à de fortes quantités ou des structures particulières absentes des huiles essentielles (dicoumarols). Les deux médicaments antivitamines K (acénocoumarol et warfarine) ont des structures coumariniques de synthèse très spécifiques.
4.Toxicité hépatique
Il a été observé une toxicité hépatique suite à un niveau de consommation élevé de coumarine, présente dans divers ingrédients alimentaires issus de la cannelle de fève tonka ou de mélilot. Il est recommandé de ne pas dépasser un apport de 5 mg/jour pour environ 6 kg.
Parmi les HE, les cannelles de Chine et du Vietnam sont les plus riches en coumarine (jusqu’à 5 %). La cannelle de Ceylan peut en contenir, à un niveau bien plus bas. Le risque lié à l’utilisation d’HE de cannelle est donc très faible, nul pour la cannelle de Ceylan.
En résumé, les choses sont finalement assez simples. Pour un usage raisonnable des HE (en dose et en durée), il n’y a qu’un seul risque qui mérite de l’attention, celui de la photosensibilisation, principalement lié au furanocoumarines présents dans les apiacées et les rutacées (agrumes). Dans les HE d’agrumes, en dehors du Yuzu, la préparation sans distillation par expression des zestes est favorable à la présence de dérivés coumariniques. On peut vérifier leur présence détectable quand on dispose d’une chromatographie compète du lot utilisé (les coumarines apparaissent en principe en dernier sur la liste). Toutefois, étant donné la possible activité de traces, il est recommandé lors d’usage cutané (ou par voie orale à forte dose) d’HE de rutacées ou d’apiacées.
La lavande (lamiacées) et la matricaire (astéracées), qui peuvent contenir des coumarines simples, ne sont pas concernées, c’est pourquoi elles ne font pas l’objet de mise en garde vis-à-vis de la photosensibilisation.
VI – Les coumarines en aromathérapie
On retient souvent des coumarines leur effet photosensibilisant qui alerte sur les précautions à prendre. D’un point de vue thérapeutique, quel est l’intérêt de la présence de coumarine ?
– D’un côté il y aurait le khella, dans lequel la visnadine associé à la khelline (un furanochromone, structure assez proche des coumarines) et à différents esters abondamment présents, apporte théoriquement la capacité à relâcher les muscles lisses, ce qui en ferait une HE haut de gamme pour les crises d’asthme, d’angor ou de douleurs digestives. Le problème est de savoir si ces composants sont réellement présents dans les huiles essentielles, et les informations disponibles n’y sont pas favorables (3).
– De l’autre, il y a de nombreuses HE provenant de diverses espèces d’apiacées ou de rutacées, secondairement de lamiacées ou d’astéracées, dans lesquelles les coumarines à niveau faible exercent leur effet sédatif du système central, qui lorsqu’il est en synergie avec d’autres actifs allant dans le même sens, peut amplifier cette activité (angélique, lavande vraie, bergamote, mandarine, orange douce).
———————
RÉFÉRENCES
1. Pierre Franchomme et Daniel Penoel : l’aromathérapie exactement – Édition Roger Jolis 2001
2. Robert Tisserand & Rodney Young : Essential Oil Safety: A Guide for Health Care Professionals – Churchill Livingstone 2013. Résumé en français par Maurice Nicole sur le site aromascientifique.com : Photoxicité des huiles essentielles: petit guide
3. Sur 5 résultats de d’analyse chromatographie/spectrométrie de masse consultés, en provenance de 3 fabricants différents : aucun ne signalait la présence de khelline, ni de visnadine. Ces composés, sont plus ou moins présents selon l’origine de la plante, et la qualité de la distillation pourrait aussi intervenir.
La khelline et la visnadine sont extractibles avec un bon rendement par divers solvants et par le CO supercritique, mais pas par la distillation.
L’action antispasmodique de l’HE de Khella est donc avant tout liée à ses esters, et de ce point de vue, d’autres moins coûteuses comme la lavande vraie ou le petit grain bigaradier ont le même type d’actif dans des proportions équivalentes.
– Revue sur les propriétés médicinales du khella :
– Évaluation de l’extraction de la khelline et de la visnadine