Les esters forment un groupe de principes actifs en aromathérapie aux structures variées avec une relative homogénéité de leurs propriétés
Les huiles essentielles peuvent être abordées de diverses manières. L’aromathérapie scientifique pose une base solide en précisant les propriétés validées par des recherches rigoureuses et les risques qui nécessitent des précautions d’emploi. Elle est le socle d’une approche globale de l’aromathérapie.
–
I- STRUCTURE ET CLASSIFICATION
• Définition d’un ester
Les structures qui contiennent une liaison ester résultent de la fusion d’un acide [R1-COOH] sous forme d’anion [RCCO–] avec une dénomination qui se termine en (…ate) et d’un alcool [R2-OH] qui perd son hydroxyle pour ne laisser sous forme de cation [R2+] que son radical, c’est-à-dire son squelette carboné avec une dénomination qui se termine en (…yle). La réaction libère une molécule d’eau [H2O].
La liaison formée est fortement polarisée. La formule finale est [R1COO–R2].
Un ester porte de nom de ses deux composants. Le radical issu de l’acide (R1) porte de suffixe « ate » et le radical issu de l’alcool (R2) le suffixe « yle ». Exemple : acétate de linalyle.
• Composants
Un ester se forme à partir d’un acide et d’un alcool et se nomme en associant la dénomination de chaque structure qui la compose sous la forme [acide]-ate de [alcool]-yle
Exemple, quand l’acide acétique s’associe au linalol, il se forme de l’acétate de linalyle.
La diversité des esters est liée à la diversité des acides et alcools qui les composent.
Les principaux composants d’esters retrouvés dans les huiles essentielles
Acide sous forme ionique (… ate) | Alcool sous forme de radical |
1a. Chaîne courte linéaire acide formique ou méthanoïque (C1) acide acétique ou éthanoïque (C2 acide butanoïque ou butyrique (C4) 1b. Chaîne courte ramifiée 2. Aromatiques en C7 3. Acides à chaîne > C7 |
1a. Chaîne courte linéaire méthanol ⟶ méthyle (C1) pentanol ⟶ pentyle (C5) hexanol ⟶ hexyle (C6) 1b. Chaîne courte ramifiée 2. Structures aromatiques 3a. Structure monoterpénique linéaire (C10) 3b. Structure monoterpénique cyclique (C10) 4. Structure sesquiterpénique (C15) |
En théorie, toutes les combinaisons sont possibles.
En pratique, on ne trouve que certains esters, néanmoins nombreux, puisqu’on en compte plusieurs dizaines dans les huiles essentielles.
On remarque que les acides à chaîne courte (formiate et acétate) sont toujours associés à des alcools à chaînes longues : monoterpénols ou sesquiterpénols.
Inversement, les alcools à chaîne courte donnant les groupements méthyle, butyle, amyle… sont toujours associés à des acides ayant plus de 5 carbones.
Ainsi, les esters ont toujours une taille d’au moins 8 carbones.
Les structures des esters sont détaillées dans un tableau synthétique.
• Biosynthèse
Les esters se forment en présence d’un acide, d’un alcool et d’une enzyme permettant de les associer. Les précurseurs, acide et alcool, sont préalablement produits par le métabolisme de la plante. On trouve donc généralement des esters en lien avec les autres composants. En particulier, monoterpénols et esters monoterpéniques sont généralement associés, dans des proportions variables.
• Classification
Il est impossible de classer de manière rigoureuse les esters des huiles essentielles, leur diversité est trop grande. Il y a deux manières de les classer :
– Selon le nombre de carbone de la composante acide : de C1 à C9
– Selon la nature du radical issu de la composante alcool, qui fait émerger quatre grandes tendances.
1. Les esters simples, ne contenant ni structure terpénique, ni cycle aromatique : acide 1 et alcool 1.
Ex : angélates d’isoamule, d’isobutyle ou d’isoallyle : isobutrates d’amyle, d’hexyle ou de méthyallyle.
2. Les esters aromatiques: acide 2 et/ou alcool 2
Ex : benzoate de méthyle, benzoate de benzyle, tiglate de phényl-éthyle, salicylate de méthyle, anthranilate de méthyle.
3. Les esters monoterpéniques: acide 1 et alcool 3-
Ex : acétate de linalyle, bornyle, terpényle, géranyle… formiate de géranyle ou citronellyle.
4. Les esters sesquiterpéniques : acide 1 et alcool 4. Ils sont rares
Ex : acétate de vétivényle ou de farnésyle.
–
II – PROPRIÉTÉS
Les esters, malgré une grande variété de structures, ont une homogénéité de propriété, probablement liée à la présence d’une liaison ester fortement polarisée entre deux structures organiques.
• Propriétés générales
Ce sont des substances apaisantes, à tous les niveaux.
Cette tendance générale se décline en plusieurs propriétés, plus ou moins marquées selon la nature de l’ester, sa concentration dans l’huile essentielle et les autres principes actifs associés.
– sédatif central
– antispasmodique par une double action : principalement centrale et également musculotrope
– anti-inflammatoire
– antalgique
– hypotenseur
Parmi les mécanismes d’actions évoqués : une action centrale sur les neuromédiateurs et en particulier les endorphines, expliquant l’effet sédatif, antalgique, voire euphorisant, et une action périphérique sur l‘oxyde nitrique (NO) et les prostaglandines, en lien avec l’activité anti-inflammatoire, particulièrement marquée pour le salicylate.
• Nuances selon les esters
Les nuances sont difficiles à déterminer de manière précise. Les tendances données par Pierre Franchomme, reprises dans la plupart des descriptifs, sont indicatives, et ne peuvent être rigoureusement démontrées.
– L’activité antispasmodique semble croître avec le nombre de carbones, jusqu’à 7, et décroitre ensuite. Les esters à acide en C5 (isovalérates, angélates, tiglates) et en C7 (structures aromatiques : benzoate, anthranilate, salicylate) ont le potentiel d’activité maximal.
– Le tropisme de la molécule dépend de la nature de l’alcool : s’il est non terpénique, le système nerveux serait principalement ciblé, s’il est terpénique, l’action serait plutôt périphérique dans haut du corps (zone cardiaque), et s’il est sesquiterpénique, elle serait basse (zone abdominale).
– Les structures aromatiques, non différenciées par Franchomme, semble avoir des propriétés spécifiques : Le benzoate de benzyle (doublement aromatique) à une action antiparasitaire, notamment contre la gale, et il est parfois évoqué comme un antidouleur central.
• Propriétés des principaux esters
Les esters présents dans les HE étant très nombreux et la plupart présents en quantité modérée dans seulement quelques HE, les propriétés n’ont été étudiées que pour quelques-uns d’entre eux, soit parce qu’ils sont les plus fréquents, soit parce qu’ils semblent apporter des vertus particulières aux HE qui en contiennent en quantité notable. Pour les autres, on considère qu’ils ont globalement les propriétés des esters, proportionnelles à leur quantité globale.
Les acétates monoterpéniques ont généralement des propriétés analogues à celles du monoterpénol qu’ils contiennent, soit directement, soit après hydrolyse qui sépare la partie acide de la partie alcool.
– Angélate d’isobutyle (et autres angélates de la Camomille romaine) : activité anti-inflammatoire et antalgique sur la peau et les muqueuses, effet antispasmodique considérée comme le plus important parmi les esters, et une action sédative centrale, notamment face à l’anxiété.
– Acétate de linalyle (abondant dans la lavande vraie, le lavandin, le thym ct-linalol et le petit grain bigarade, et à des niveaux plus faibles dans diverses HE contenant du linalol) : essentiellement antalgique, anti-inflammatoire et antispasmodique (activation de l’oxyde nitrique). On observe un effet cardioprotecteur associant plusieurs mécanismes. Les effets sur le système nerveux central sont semblables à ceux du linalol (potentiellement libéré par hydrolyse de l’ester) : sédatif tout en favorisant la capacité de concentration.
– Acétate de bornyle (abondant dans certaines HE de conifères) : action antalgique (centrale et périphérique) et anti-inflammatoire qui semble plus marquée que celle de l’acétate de linalyle, alors que l’effet antispasmodique est plus discret, tout comme l’effet sédatif central.
– Acétate de géranyle (présent généralement en faible quantité, les plus fortes teneurs sont observées dans l’HE de Palmarosa) : ses propriétés sont semblables à celles du géraniol.
– Acétate de néryle (isomère trans du géranyle) : présent en faible quantité dans quelques HE, il est dominant parmi les esters (et parfois très abondant) dans l’Hélichryse italienne, sans que l’on sache son rôle puisque qu’il n’y a pas de données les propriétés de cet ester dans la littérature scientifique.
– Acétate de terpényle (abondant dans l’HE de Cardamome) : action antispasmodique et antalgique sur le tube digestif.
– L’acétate de benzyle (absolu de jasmin et secondairement dans l’HE ylang ylang) est avant tout connu pour son parfum. Il est décrit par Pierre Franchomme comme fortement antispasmodique.
– Le benzoate de benzyle qui contribue au parfum de l’HE d’ylang-ylang est utilisé en pharmacie sous forme concentrée (obtenue par synthèse) pour son action sur les parasites cutanés, notamment la gale. Il est aussi utilisé comme anti-acarien dans les maisons.
– Le salicylate de méthyle (HE de Gaulthérie), a une analogie structurale avec l’aspirine. Il est anti-inflammatoire, antalgique, antipyrétique et antiagrégant plaquettaire
• Synergies
Il existe des synergies évidentes pour l’action anti-inflammatoire (sesquiterpènes, aldéhydes aromatiques), pour l’action sédative centrale et neurovégétative (limonène, linalol, aldéhydes terpéniques), et pour l’action antispasmodique (éthers, cétones).
Certaines sources font état de synergies particulières : avec les monoterpénols pour une action antifungique, et avec les sesquiterpènes pour une action antiallergique, ce qui est difficile à démontrer.
–
III – TOXICITÉ et EFFETS SECONDAIRES
Les esters sont une famille quasiment dépourvue de toxicité. Ils peuvent être administrée par toutes les voies. La tolérance cutanée, excellente, permet une application directe sur la peau des huiles essentielles qui en contiennent de fortes proportions.
Pour les esters terpéniques, la prudence est requise en cas d’application importante sur une peau fragile.
Les salicylates demandent davantage de précautions du fait d’une irritation cutanée bien supérieure aux autres esters, de possibles effets antiagrégants plaquettaires, et de risque allergique (salicylés).
–
IV – LES CHEMOTYPES ESTERS
L’activité spasmolytique au niveau central, neurotrope et musculotrope associée à l’effet anti-inflammatoire et antalgique définit la cible privilégiée des huiles essentielles riches en esters : les spasmes de toute origine, les dystonies neuro-végétatives, et la tension nerveuse qui leur est généralement associée.
• CT esters non terpéniques non aromatiques
Acide C4 : isobutyrate d’amyle, de 2 methyl-butyle ; méthacrylate d’isobutyle et de méthylpentyle
Acide C5 : angelate d’isomayle, d’isobutyle, de méthyl-allyle ; 2-méthylbuturate de 2 méthyl-butyle et d’isomayle ; isovalérate d’amyle
L’action antispasmodique est marquée, avec un effet anti-inflammatoire, antalgique et effet sédatif central lié à la bonne diffusion au niveau du cerveau.
HE | Esters | Autres actifs notables |
Camomille noble ou romaine (fleur) Chamaemelum nobile |
total : 75-80 % angélates (> 50%) , isobutyrates, méthacrylates |
cétones (pinocarvone) :10-15 % monoterpénols (pinocarvéol) : 2-5 % |
La camomille noble, seul représentant coutant de ce chémotype, a une place particulière pour la recherche d’un effet antispasmodique marqué et sédatif central (anxiolytique).
• CT esters monoterpéniques/monoterpénols
Les HE contenant l’association linalol/acétate de linalyle citées ici ont une majorité d’esters.
Lors de l’association géraniol/acétate de géranyle, ou menthol/acétate de menthyle, c’est le monoterpénol qui est majoritaire
Les propriétés constatées sont celles du monoterpénols, avec un effet qui pourrait être plus marqué.
HE | Esters | Monoterpénols |
Lavande vraie (sommité fleurie) Lavandula angustifolia |
total : 45-55 % acétate de linalyle (et lavandulyle) |
total : 30-50 % linalol, terpinéols, bornéol , lavandulol |
Lavandin (sommité fleurie) Lavandula intermedia clone super |
total : 45-50 % acétate de linalyle (et bornyle) |
total : 30-35 % linalol, bornéol |
Sauge sclarée (sommité fleurie) Salvia sclarea |
total : 60-80 % acétate de linalyle |
total : 5-15 % linalol |
Petit grain bigarade (feuilles) Citrus aurantium ssp amara |
total : 50-70 % acétate de linalyle (et géranyle) |
total : 30-40 % linalol, géraniol |
Géranium rosat (feuilles) Pelargonium x asperum |
total : 10-30 % formiate de géranyle et citronellyle tiglate de géranyle et phényl-éthyle |
total : 55-65 % citronellol, géraniol linalol |
Palmarosa (partie aérienne) Cymbopogon martinii var. motia |
total : 10-20 % formiate et acétate de géranyle |
total : 80-90 % géraniol |
• CT esters monoterpéniques/monoterpènes
Les esters sont dans ce cas minoritaires, et l’effet dominant de la synergie est orienté par le monoterpène : pinène, limonène ou terpinène
Dans certaines HE de conifères, l’acétate de bornyle est associé à l’α-pinène. La synergie s’exerce sur les propriétés anti-inflammatoires et antalgiques.
– Épinette noire – Picea mariana : α-pinène et camphène + acétate de bornyle
– Pruche du Canada – Tsuga canadensis : α-pinène et camphène + acétate de bornyle
– Sapin de Sibérie – Abies sibirica : α et ß-pinène, camphène + acétate de bornyle
– Sapin baumier – Abies balsamea : α et ß-pinène, δ3-carène + acétate de bornyle
Dans les rutacées (agrumes), le monoterpène dominant et les esters sont différents, et la synergie s’exerce dans l’effet sédatif :
– Petit grain mandarine – Citrus reticulata blanco var. mandarine : γ terpinène + N-méthylanthranilate de méthyle
– Bergamote (Citrus bergamia) : d-limonène + acétate de linalyle
• CT salicylate
L’activité dominante est antalgique et anti-inflammatoire, par voie cutanée uniquement.
Les HE de feuilles de Gaulthérie couchée (Gaultheria procumbens) et odorante (Gaultheria fragrantissima ) contiennent de 95 à 99 % de salicylate de méthyle.
• CT esters aromatiques
Les esters aromatiques (benzoates, salicylates, anthranilates) sont présentés par Pierre Franchomme comme des antidouleurs majeurs, mais cela n’est pas documenté.
Le baume du Pérou, particulièrement riche en benzoate de benzyle (30-45%), n’est pas présenté comme un antalgique, mais comme cicatrisant cutané et pour traiter les parasitoses cutanées
On trouve le benzoate de benzyle à des niveaux < 15% dans le benjoin de Sumatra, l’ylang-ylang, le jasmin et les feuilles de cannelle de Ceylan.
La propriété documentée est l’action antiparasitaire conte la gale, pour laquelle le produit de synthèse concentré est le seul qui a démontré son efficacité.
–
V – QUELS CHOIX DANS UNE AROMATHÈQUE PERSONNELLE ?
Le principe d’une aromathèque personnelle est de disposer, avec un nombre restreint d’huiles essentielles (15 à 20 HE), de solutions à la majorité des maux du quotidien, soit avec une seule HE, soit avec un mélange utilisant la synergie de plusieurs chémotypes vers l’objectif visé.
Parmi les esters, s’il devait y en avoir qu’une, ce serait la Camomille noble, pour sa forte activité antispasmodique, des propriétés anti-inflammatoires et antalgique, et son effet sédatif central. Elle répond à tout ce que l’on attend d’une HE à esters, utilisée seule ou dans une composition. Son inconvénient est son prix élevé, et une odeur qui déplaît parfois.
Comme alternative à un prix moindre, il y a la Lavande vraie (ou encore plus économique le lavandin). L’activité des esters est moindre, plus ou moins compensée par la présence de linalol.
Le petit grain bigarade (feuilles d’oranger amer), a une composition proche de la lavande en linalol et acétate de linalyle.
La gaulthérie couchée ou odorante, est utile dans les mélanges cherchant à optimiser l’activité anti-inflammatoire.
–