La remise en cause des antidépresseurs se précise dans plusieurs directions : leurs effets secondaires parfois très handicapants, le fait qu’ils entravent la résolution du problème, et leur inefficacité objective dans la majorité des cas.
Les deux premiers points ont été détaillés dans un article précédent.
Le troisième, l’inefficacité objective, est signalé depuis longtemps par les chercheurs auteurs indépendants. Il vient d’être consolidé par deux études majeures, timidement relayées par les médias.
1) Invalidation de l’hypothèse de la sérotonine
Selon cette hypothèse, le déficit en sérotonine est une cause importante du mécanisme dépressif. Elle est le socle qui justifie la majorité des antidépresseurs actuels, qui prolonge l’action de la sérotonine présence en inhibant sa recapture.
Déjà remise en cause par diverses recherches, elle peut être aujourd’hui totalement invalidée par une étude majeure publiée dans Molecular Psychiatry au mois de juin 2022.
Des examens systématiques, des méta-analyses et des analyses de grandes séries de données dans les domaines suivants ont été recensés, au total 17 études considérées comme valides.
La conclusion est claire : les principaux domaines de recherche sur la sérotonine ne fournissent aucune preuve cohérente de l’existence d’un lien entre la sérotonine et la dépression, et aucune preuve de l’hypothèse selon laquelle la dépression est causée par une baisse de l’activité ou des concentrations de sérotonine. D’autre part, certaines données concordent avec la possibilité que l’utilisation à long terme d’antidépresseurs réduise la concentration de sérotonine, sans en connaître les conséquences.
En résumé : les antidépresseurs ont un mode d’action qui repose sur un mécanisme qui n’a pas d’effet bénéfique et semblent provoquer dans la durée une action contraire à celle revendiquée.
2) Invalidation des effets cliniques
Un esprit pragmatique pourrait avancer que peu importe si ce n’est pas le mécanisme invoqué qui fonctionne, du moment que cela fonctionne.
Les diverses synthèses des études cliniques allaient déjà dans le sens d’une absence d’efficacité par rapport à un placebo (avec un effet placebo bien réel) dans les formes légères et modérées (selon l’échelle de Hamilton), et une certaine efficacité dans les formes sévères. Or, ces traitements sont prescrits le plus souvent dans les formes légères ou modérées.
L’analyse de données publiées en août 2022 dans le British Journal of Medecine met fin à tous les doutes qui pourraient alimenter des spéculations. Effectuées à partir de 232 essais randomisés incluant plus de 73 000 participants, sa conclusion est claire : seuls 15 % des sujets traités bénéficient d’un effet significatif par rapport au placebo, et il y a une corrélation entre l’efficacité observée et la gravité de la dépression.
3) Et maintenant ?
Comment une médecine qui ne cesse de condamner les traitements qui reposent sur la croyance et met en avant l’evidence based medecine peut-elle cautionner un traitement, dont l’efficacité n’est pas démontrée dans la plupart des cas, et en se justifiant par des bénéfices observés, qui selon l’evidence based medecine, sont un effet placebo ?
S’appuyer sur le fait que le traitement est utile en cas de forme sévère demanderait qu’une évaluation par l’échelle de Hamilton soit effectuée avant toute prescription, ce qui n’est quasiment jamais le cas. Prendre en compte les recommandations des spécialistes de la dépression demanderait de placer le traitement antidépresseur en seconde intention, après échec d’une méthode associant modification du mode de vie et psychothérapie.
Le changement d’habitudes sera sans doute favorisé par le nombre croissant d’observations de traitements au long cours qui n’ont pas résolu le problème tout en ayant rendu dépendant, et les personnes de plus en plus nombreuses qui refusent de prendre des antidépresseurs en première intention.
Références
1. Ariane Denoyel – Génération zombie – Fayard 2021
2. Moncrieff & al : The serotonin theory of depression: a systematic umbrella review of the evidence – Molecular Psychiatry – Juin 2022
3. Marc B Stone, & al : Response to acute monotherapy for major depressive disorder in randomized, placebo controlled trials submitted to the US Food and Drug Administration: individual participant data analysis – BMJ août 2022, 378 : e067606