La croyance qu’il existe une vérité absolue qui ordonne tous les liens de causalité est solidement ancrée dans l’humanité. Cela a conduit dans le passé à des guerres de religion absurdes et alimente encore aujourd’hui des lois injustes et des conflits inutiles. Il est cependant difficile d’admettre ce qui est pourtant une évidence : à l’échelle de la capacité de compréhension humaine, le postulat de vérité applicable au monde des machines et une erreur dans le domaine de la vie.
1) La question de la vérité
Le mot vérité en langue française porte plusieurs sens. Les deux principaux s’éclairent par leur contraire : le mensonge et l’erreur. Le mensonge est le fait de dire une chose alors que l’authenticité serait d’en dire une autre. L’erreur est de tenir pour vrai ce qui n’est pas conforme à ce qui devrait l’être, et suppose donc qu’il y a une vérité de référence. La question se pose alors sur la validité et l’universalité de cette référence. Existe-t-il une vérité absolue qui transcende tous les points de vue et devrait ainsi réconcilier tout le monde ?
2) Vérité et croyance
Dans un esprit humain, individuel ou collectif, les croyances sont des postulats considérés comme vrais, sur lesquels s’alignent les comportements automatiques et s’appuient les actions réfléchies. La psychologie a découvert la puissance effective de ces postulats, y compris quand ils conduisent à des comportements inadaptés et sont sources de mal-être. Einstein disait : « Il est plus difficile de casser une croyance que de briser un atome ». La technologie a réussi à briser les atomes. La psychothérapie peine à démonter certaines croyances, quand elles sont le socle d’une construction psychique qui s’est consolidée par habitude.
En simplifiant, nous pouvons distinguer deux types de croyances. Les croyances racines ou profondes forment le socle sur lequel s’est élaboré une construction psychique cohérente, plus ou moins fonctionnelle, et toujours optimale pour la survie. Elles déterminent nos comportements automatiques et nos réactions. Casser ce socle entraînerait l’effondrement de la construction psychique et avec elle la perte des mécanismes acquis de survie.
Les croyances mentales sont acquises progressivement par imprégnation de valeurs de notre famille et de notre environnement social, puis, avec plus ou moins d’évolution, par notre démarche philosophique personnelle. Elles sous-tendent notre langage réfléchi et nos actions volontaires. C’est à ce niveau que nous avons acquis et parfois perpétué la notion de vérité absolue.
3) La science est-elle dépositaire de la vérité ?
De nombreux livres et articles prétendent apporter « la vérité sur » un sujet particulier, au nom de la science et de l’acquis actuel des études expérimentales. Peut-on vraiment de parler de vérité ? À une autre époque, la vérité aurait été autre, dictée par le clergé dans une société à dominance chrétienne. La vérité des experts est-elle plus juste que celles des représentants de Dieu ? On pourrait penser que oui, du fait que l’expérience vérifiable est plus universelle que la révélation divine qui change selon les contrées. On pourrait aussi rétorquer que la science actuelle en posant des postulats qui refusent les réalités non matérielles est à sa manière une religion, et que sa vérité illusoire sera un jour obsolète.
4) William James et le pragmatisme
William James est considéré comme le père de la psychologie américaine. Il a initié avec Charles Sanders Peirce et John Dewey le courant pragmatique pour lequel la vérité est par nature supérieure à la croyance. Cependant, dans cette démarche, la vérité absolue n’est pas accessible à l’esprit humain, parce que celui-ci est matériellement contraint et ne s’exprime que par un langage. Toute prétention de vérité n’est donc qu’une croyance. Et la science n’a pas pour mission de déterminer ce qui est vrai mais ce qui est performant dans ses applications. Ce qui est tenu pour vrai ne l’est que dans le contexte local dans lequel cela a pu être vérifié.
5) De la vérité à l’utilité
Le pragmatisme ne se préoccupe plus de vérité. Il cherche ce qui est performant dans un objectif, donc ce qui est utile. Il est de ce fait beaucoup plus souple dans la recherche de solution et permet la coopération entre des démarches différentes qui cessent de se combattre pour avoir raison. Dans le domaine de la santé, il ouvre la porte à une démarche systémique et intégrative.
En science et en santé, y compris naturelle, le postulat d’une vérité absolue conduit à des points de vue fermés, militants, parfois guerriers. Il conduit au conflit entre démarches perçues comme concurrentes plutôt qu’à la coopération entre savoir-faire complémentaires. En relation thérapeutique, il conduit à la position haute de celui qui sait mieux que celui qu’il accompagne ce qui est bon pour lui, comme s’il était une machine passive.
Abandonner la croyance en une vérité absolue est la plus grande révolution qui favoriserait l’émergence d’une médecine et d’une psychologie intégratives, respectueuses de la différence de chacun, et plus efficace dans ses solutions individualisées.
6) La vérité absolue, le passage difficile de la spirale dynamique
La théorie des niveaux d’existence proposée par Clare Graves, connue aujourd’hui sous le nom de Spirale Dynamique, explique magistralement l’évolution de l’humanité (sociogenèse) et d’un individu (psychogenèse) avec le passage successif par des systèmes de valeurs bien codifiés, qui viennent résoudre les problèmes du niveau antérieurs, tout en créant progressivement ceux qui appelleront un niveau ultérieur.
Le niveau de la vérité absolue (auquel est attribué la couleur bleue) apparaît logiquement dans l’humanité après les périodes barbares, pour sortir de la domination par la force et faire régner un ordre pacificateur dans la communauté. Il apparaît vers 7 ans dans une existence humaine pour structurer le mental (âge de raison) et instaurer une morale après une période de développement de l’affirmation de soi sans autre limite que celles rencontrées à l’extérieur.
Dans les deux cas, ce passage nécessaire à la construction peine ensuite à s’intégrer à juste à place pour évoluer. Cette intégration consiste à garder la notion de vérité pour soi (croyance) en lui retirant son caractère absolu, ce qui ne conduit plus à considérer que ce qui vrai pour soi l’est aussi pour les autres, et ce qui est vrai maintenant comme définitivement valide.
C’est ainsi que des valeurs de fraternité, d’amour au sens large, d’écologie ou de santé naturelle s’appuyant sur l’autoguérison, peuvent être des dogmes et conduire à des comportements intolérants, alors qu’en même temps la tolérance et le droit à la différence sont prônés par des paroles.
La croyance en une vérité absolue rend fatalement intolérant, même avec une tolérance de façade.
7) Abandonner la vérité absolue pour entrer dans une vraie coopération
La spirale dynamique décrit très bien les niveaux évolutifs qui viennent après la vérité absolue. Il y a d’abord le niveau « orange » dans lequel plusieurs points de vue peuvent coexister en laissant la compétition déterminer le meilleur. Puis le niveau « vert » dans lequel tous les points de vue sont égaux, et la coopération permet de faire émerger un consensus intégrant la richesse de chacun.
Le passage orange/vert est en cours. Certains le freinent en voyant que cette coopération est souvent inefficace ou très lente pour agir. Cela s’observe en effet. Il s’agit cependant, selon le modèle de Graves, d’un passage indispensable avant d’atteindre le niveau suivant : systémique et intégratif, dans lequel le pragmatisme des situations passera avant la nécessité de consensus, tout en respectant la différence de chacun.
Abandonner la référence à une hypothétique vérité absolue et reconnaître comme légitime le point de vue de chacun, sans désir de le combattre, est aujourd’hui la priorité pour évoluer vers un mode de coopération et de paix.
Dans le domaine de la santé, le positionnement en vérité absolue des représentants attitrés de la médecine moderne et la plus grande partie des porte-parole des méthodes de santé naturelle est le plus grand frein à l’émergence de la coopération intégrative.
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Pour aller plus loin…
❍ Santé intégrative et systémique
❍ La dynamique triangulaire de la vie
Un modèle global de compréhension de la complexité de la vie
La rigueur de la science dans le dogme d’une vérité absolue
❍ Niveaux d’existence de Clare Graves (Spirale dynamique)
Une formation de 2 jours pour découvrir le modèle et mieux comprendre le monde d’hier et d’aujourd’hui