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Les sesquiterpènes (hydrocarbures sesquiterpéniques) forment un groupe important et particulièrement complexe de principes actifs en aromathérapie.
Les huiles essentielles peuvent être abordées de diverses manières.
L’aromathérapie scientifique pose une base solide en précisant les propriétés validées par des recherches rigoureuses et les risques qui nécessitent des précautions d’emploi. Elle est le socle d’une approche globale de l’aromathérapie.
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I – STRUCTURE DES SESQUITERPÈNES ET DIVERSES FORMES D’ISOMÈRES
Les sesquiterpènes présents dans les HE dérivent du diphosphate de farnésyle (FPP) et ont presque tous la même formule C15H24. Ceux qui ont une structure aromatique ont un nombre d’hydrogène plus réduit, et la chamazulène a un carbone de moins (C14H16).
Le nomenclature des isomères est la même que pour les monoterpènes et a été décrite dans un article précédent à leur sujet (1).
Comme pour les monoterpènes, les isomères de chaîne identifiés par des lettres grecques (α, ß, γ, δ, ε), ont des structures biochimiques suffisamment distinctes pour être différenciées par l’analyse chromatographique.
Les diastéréoisomères (cis/trans) et les énantiomères (R/S) font entrer dans une grande complexité,et il est plus simple de considérer que les formes naturelles présentes dans les HE sont les forme actives, ce qui est généralement le cas.
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II – LES SIX FAMILLES BIOCHIMIQUES DES SESQUITERPÈNES EN AROMATHÉRAPIE
Selon l’organisation structurelle des 15 carbones des sesquiterpènes, on distingue 6 sous-familles.
Le détail des structures est précisé sur une synthèse complète : structure et classification des sesquiterpènes.
Toutes les structures peuvent être retrouvées sur la base PubChem.
Le tableau suivant indique où se situent les différents composés que l’on trouve dans les huiles essentielles. Il montre toute la diversité des dérivés sesquiterpéniques présents dans les huiles essentielles et la complexité structurale de cette famille
FAMILLE | Sous familles | Composés |
SESQUITERPÈNES ACYCLIQUES structure linéaire, 4 insaturations |
– farnésène | |
SESQUITERPÈNES MONOCYCLIQUES un seul cycle, 3 insaturations |
Monocycle C6 avec une chaîne latérale (bisabolane) |
– bisabolène (α, ß, γ) – α-zingibérène, ß sesquiphellandrène – curcumène (α*, ß, γ, δ) |
Monocycle C6 polybranché (élémane) |
– élémène (α, ß, γ, δ) | |
Monocycle C10 (germacrane) |
– germacrène (A , B, C, D, E) bicyclogermacrène = à bicycle |
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Monocycle C11 (humulane) |
– humulène (α, ß, γ) α-humulène = α-caryophyllène |
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SESQUITERPÈNES BICYCLIQUES deux cycles associés, 2 insaturations |
Dérivés du napthalène : bicycle [4.4.0] décane | – cadinène ou muurolène (α, ß, γ, δ, ε). cadina 1,4-diène, zonarène – sélinène ou eudesmène (α, ß, δ) – valencène – vétivénène (ß, δ) – 3 insaturations – camamécénène * ; calacorènes (α, ß, γ)* ; cadalène* |
Dérivés de l’azulène : bicycle [5.3.0] décane | – guaïène (α, ß, γ, δ) ; bulnézèze (α, ß) – daucène – gurjunène (γ) – chamazulène*, guaïazuène*, vétiazulène* |
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Dérivés du benzoannulène : bicycle [5.4.0] undécane | – himachalène (α, ß, γ) – ar-himachalène* |
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Dérivés du bicycle [7.2.0] undécane |
– ß caryophyllène | |
Dérivés du bicycle [3.1.1] heptane |
– bergamotène (α, ß) | |
Dérivés du bicycle spiro[4.5] décane |
– acoradiène (α, ß, γ) γ-acariodène = α-alaskène |
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SESQUITERPÈNES TRICYCLIQUES trois cycles associés , 1 insaturation |
Tricycles avec isopropane |
• Dérivés du cycloproazulène – gurjunène (α, ß) – aromadendrène – ledène = viriflorène• Dérivés du cyclopropanaphtalène – thujopsène – aristolène ou calarène• Tricycles [4.4.0.0] décane – cubébène (α, ß) |
Tricycles avec isobutane |
• Tricycles [5.3.0.0] décane – bourbonène (α, ß)• Tricycles [5.4.0.0] décane – italicène• Tricycles [4.4.0.0] décane – copaène |
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Tricycles avec isopentane | • Cycle méthanoazulène : tricyclo [5.3.1.0] undécane – cédrène (α, ß) – seychellène – patchoulène (α, ß, γ, δ) • Tricycles [6.2.1.0] undecane – vétivène (α, γ)• Tricycles [5.4.0.0] undecane – longipinène (α, ß) – longifolène |
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SESQUITERPÈNES TÉTRACYCLIQUES quatre cycles associés, aucune insaturation |
– ischwarane – longicyclène |
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SESQUITERPÈNES AROMATIQUES * avec un cycle aromatique |
Monocyclique dérivé du bisabolane |
– ar-curcumène ou α-curcumène |
Bicyclique dérivé de l’azulène |
– chamazulène (bleu) – guiazulène (bleu) – vétiazulène (rouge foncé) |
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Bicyclique dérivé du benzoannulène |
– ar-himachalène | |
Bicyclique dérivé du naphalène |
– calaménène – calacorène (α, ß, γ) – cadalène |
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FURANOSSESQUITERPÈNES avec un cycle furane, 4 insaturations |
– furanoeudesma 1,3-diène – lindestrène – curzérène |
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III – PROPRIÉTÉS DES SESQUITERPÈNES
Les sesquiterpènes sont très nombreux et variés. Beaucoup d’entre eux n’ont pas été suffisamment étudiés isolément pour définir leurs propriétés spécifiques.
Ce sont des molécules principalement anti-inflammatoires et myorelaxantes. Certaines de leurs propriétés semblent générales pour la famille, tandis que d’autres sont plus spécifiques de certains composés.
– Du fait leur structure hydrocarbure insaturée, les sesquiterpènes ont des propriétés antioxydantes.
– L’effet dominant est anti-inflammatoire. Il est clairement validé pour le ß-caryophyllène, le chamazulène, le guaïazulène, le ß-himachalène, l’α et ß-patchoulène et l’ischwarane. Il est admis pour l’humulène (surtout l’isomère α), l’α-guaïène, l’α-bulnezène, le curzérène, l’α-cubébène, le germacrène D, l’élémène et le ß-sélinène. Il est supposé pour les autres, sans garantie.
Globalement, une HE contenant en quantité notable plusieurs sesquiterpènes à activité anti-inflammatoire validée sera considérée comme anti-inflammatoire.
– Les furanosesquiterpènes (furanoeudesma 1,3-diène, lindestrène, curzérène) ont une activité antalgique propre (indépendamment des conséquences de l’effet anti-inflammatoire).
– Le chamazulène (bleu) a une activité anti-inflammatoire et antihistaminique pouvant agir sur les crises d’allergies et comme antiprurigineux.
Le guaïazulène (également bleu) est anti-inflammatoire avec une action antiulcéreuse (exploitée dans certains médicaments) et hépato-protectrice. L’activité ulcéro-protectrice a également été observée pour le ß-caryophyllène.
– La bonne tolérance cutanée permet d’appliquer les sesquiterpènes sur la peau pour obtenir des effets apaisants et cicatrisants, favorisant la régénération du tissu conjonctif sous-cutané.
– Les sesquiterpènes sont globalement négativants et pour l’humulène et le ß-caryophyllène, il a été montré un effet sédatif sur le système nerveux central, bénéfique en cas d’anxiété et de stress. Cet effet sédatif central est possible pour d’autre dérivés sesquiterpéniques, mais cela n’est pas documenté. On l’observe pour le Nard de l’Himalaya sans le relier à ses composants dont les principaux sont rares et mal connus individuellement.
– Il a été démontré pour le ß-caryophyllène un effet neuroprotecteur bénéfique sur les états convulsifs, les ischémies, différents états excitotoxiques, et toutes les pathologies associées à une inflammation du système nerveux.
– Plusieurs dérivés (chamazulène, ß-caryophyllène, humulène, α-cubébène et probablement d’autres) ont un effet spasmolytique et myorelaxant, avec des propriétés hypotensives par relâchement des muscles lisses artériels.
– Des propriétés anti-infectieuses sont documentées, notamment pour les germacrènes, et le ß- caryophyllène, le farnésène, l’humulène, l’himachalène, l’aromadendrène, l’ischwarane. Elles sont mineures comparées à d’autres principes actifs des huiles essentielles et non exploitées en pratique courante.
– Plusieurs sesquiterpènes ont montré une activité anti-tumorale, notamment l’élémène, le bisabolène, le zingibérène, le curcumène, sans qu’il y ait d’applications pratiques.
– L’effet décongestionnant veineux et lymphatique parfois signalé, n’est clairement documenté pour aucun dérivé spécifique, et les huiles essentielles, pour lesquelles cet effet est le mieux établi, contiennent des sesquiterpénols qui expliquent cette propriété.
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IV – EFFETS INDÉSIRABLES DES SESQUITERPÈNES
Les sesquiterpènes sont globalement très bien tolérés, avec une bonne tolérance cutanée et pas d’effets toxiques connus. Aucun ne fait partie des allergènes les plus courant en aromathérapie.
– Le chamazulène et le farnésène ont une action inhibitrice sur les certains cytochromes P450, ce qui incite à la prudence en cas de traitements médicamenteux pour lesquels une baisse d’activité aurait des conséquences importantes
– Il a été décrit pour le guaïazulène un effet photosensibilisant.
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V – LES CHÉMOTYPES SESQUITERPÈNES
Du fait du grand nombre de dérivés sesquiterpéniques, du manque de données sur les propriétés de chacun, et du fait qu’ils soient généralement associés sans composé nettement dominante, il est plus difficile de décrire des chémotypes spécifiques que pour les autres familles.
On peut cependant en détacher deux : le CT ß-caryophyllène ou CT-ischwarane (anti-inflammatoire marqué) et CT chamazulène (antiallergique et antiprurigineux).
Les autres huiles essentielles à sesquiterpènes sont plutôt à considérer pour leurs propriétés spécifiques.
1. CT caryophyllène/humulène et CT ischwarane
Leur intérêt est l’activité anti-inflammatoire marquée, plus ou moins antalgique, avec un effet apaisant cutané, et aussi myorelaxantes. Pour le CT ß-caryophyllène /humulène, on peut attendre un effet sédatif du système nerveux central.
Le poivre noir, du fait de ses monoterpènes associés, est également tonique digestif.
HE | % SQTP | détail |
Baume de Copahu (résine) Copaifera officinalis |
80-90 % | ß caryophyllène : 40-70 % α-humulène : 3-10 % α-bergamotene germacrène – copaène […] |
Poivre noir (baies) Piper nigrum |
30-50 % + Monoterpènes |
ß caryophyllène : 40-70 % α-humulène : 3-10 % α et ß-sélinène : 2-7 % […] |
Katrafay (écorce) Cedrelopsis grevi |
35-60 % | ischwarane : 20-40 % α-copaène : 5-10 % δ-cadinène : 2-4 % α-sélinène : 1-5 % […] |
2. CT chamazulène
Les huiles essentielles contenant du chamazulène ont une couleur bleu intense. La teneur en chamazulène est modérée (2 à 20 %), mais généralement suffisante pour exprimer ses propriétés spécifiques : antihistaminique et antiprurigineuse. Les effets myorelaxant et régénérant cutané favorisant la cicatrisation sont potentialisés par les autres sesquiterpènes associés
Les oxydes de bisabolol de la matricaire potentialisent l’effet anti-inflammatoire et associé un effet psychique, à la fois tonique et anxiolytique
Les trois HE qui contiennent du chamazulène sont des astéracées.
HE | SQTP | Autres composants |
Matricaire (fleurs) Matricaria recutita |
Total : 30-40 % chamazulène : 2-18 % ß-farnésène : 15-45 % germacrène D : 1-7 % |
Oxydes sesquiterpéniques : 30-60 % (bisabolol oxydes A et B)Sesquiterpénols : 1-50 % |
Tanaisie annuelle (parties aériennes) Tanacetum annuum |
Total : 5-20 % chamazulène : 3-15 % ß-farnésène : 1-15 % caryophyllènes : 1-5 % |
Monoterpènes : 30-40 % (sabinène, ß-myrcène, pinènes)Cétones monoterpéniques : 7-18 % |
Achillée millefeuille (sommités fleuries) Achillea millefolium |
Total : 15-40 % chamazulène : 5-20 % germacrène D : 5-20 % ß-caryophyllène : 5-15 % |
Monoterpènes : 30-40 % (sabinène, pinènes)Cétones monoterpéniques : 5-20 % |
3. HE à sesquiterpènes & sesquiterpénols
Genévrier (ou cèdre) de Virginie et Patchouli sont les deux huiles essentielles contenant des proportions importantes de sesquiterpènes et sesquiterpénols et associent :
– Le potentiel anti-inflammatoire apaisant et cicatrisant (sesquiterpènes)
– Les propriétés décongestionnantes des vaisseaux sanguins et lymphatiques et de la prostate, couplée à un accroissement de la tonicité des vaisseaux sanguins et lymphatiques (sesquiterpénols).
L’HE de Vétiver, du fait de composants spécifiques, est plutôt utilisée pour ses propriétés stimulantes, immunitaire et endocrinienne (avec un effet emménagogue).
Genévrier de Virginie (bois) Juniperus virginiana |
Total : 60-85 % α, ß et γ-himachalènes : 55-80 % |
Sesquiterpénols : 25-50 % (cédrol) |
Patchouli (parties aériennes) Pogostemon cablin |
Total : 40-50 α-bulnésène : 15-20 % α-guaïène : 5-20 % seychellène : 5-15 % α, ß, γ-patchoulène : 5-15 % |
Sesquiterpénols : 40-45 % (pachoulol, posgostol) |
Vétiver (rhizomes) Vetiveria zizanoides |
Total : 5-15 % vétivène tricyclo-vétivène vétivazulène |
Sesquiterpénols : 5-20 % (khusimol, isovalencénol)Esters : 5-10 %Cétones sesquit. : 5-10%acide zizazonique : 5-30 % |
4. Autres HE à sesquiterpènes
Du fait de leur composition particulière en dérivés sesquiterpéniques associées à d’autres familles d’actifs, certains huiles essentielles à dominante sesquiterpénique ont des propriétés particulières qui sont parfois (mais pas toujours) explicables par la composition, et avant tout validé par l’expérience.
Toutes étant plus ou moins antalgiques et anti-inflammatoires, cette propriété ne sera précisée dans le tableau
Quand les sesquiterpènes sont associés à un niveau notable de cétones, les propriétés cicatrisantes sont plus marquées (Myrrhe, Cèdre de l’Atlas).
HE | SQTP | Autres composants | Propriétés majeures |
Gingembre (rhizomes) Zingiber officinale |
Total : 50-60 % α-zingibérène : 20-30 % sesquiphellandrène : 8-15 % […] |
– Monoterpènes : 5-20 % (camphène) |
– Anti-nauséeux – Tonique digestif |
Cèdre de l’Atlas bois Cedrus atlantica |
Total : 50-60 % ß-himachalène : 40-55 % α et γ-himachalène : 15-30 % |
– cétones sesquiterpéniques : 7-15%(atlantones) | – Lipolytique – Cicatrisante |
Myrrhe (oléorésine) Commiphora molmol |
Total : 40-80 % furanoeudesma-diène : 20-50 % curzerène : 10-40 % lindestrène : 3-12 % ß et γ-élémènes 3-10 % […] |
– Hydrocarbures oxygénés dérivés du furane – Cétones |
– Vulnéraire, cicatrisante – Apaisant émotionnelle |
Nard de l’Himalaya (racines) Nardostachys jatamansi |
Total : 20-30 % calarène (aristolène) : 10-20 % seychellène : 3-8 % longifolène, guaïadiène, patchoulène, valencène… |
– Cétones, aldéhydes et alcools– Sesquiterpéniques | – Tranquillisant nerveux – Calmant et apaisante cardiaque, respiratoire |
Ylang-Ylang (fleurs) Cananga odorata |
Total : 40-60 % germacrène D : 13-25 % ß-caryophyllène : 5-18 % α-farnésène : 2-16 % […] |
– Esters : 30-40 % – Monoterpénol : 10-40 % (linalol) |
– Régulateur cardiovasculaire – Tonique sexuel – Séborégulateur et tonique capillaire – Antalgique – Spasmolytique – Sédatif du SN central |
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V – QUELS CHOIX DANS UNE AROMATHÈQUE PERSONNELLE ?
Le principe d’une aromathèque personnelle est de disposer, avec un nombre restreint d’huiles essentielles (15 à 20 HE), de solutions à la majorité des maux du quotidien, soit avec une seule HE, soit avec un mélange utilisant la synergie de plusieurs chémotypes vers l’objectif visé.
Une variété des trois chémotypes présentés est utile :
– Pour le CT caryophyllène/humulène ou ischwarane (anti-inflammatoire), le Katrafay est la plus courante. Le baume de Copahu (ou Copaïba) est la plus intéressante par sa composition (80-90 % de sesquiterpènes). Le poivre noir contient les mêmes actifs que le Copahu, en quantité deux fois moindre, avec un intérêt lié à l’effet tonique digestif associé.
– Pour le CT chamazulène, l’Achillée millefeuille, la moins connue des trois, est pourtant celle qui a en moyenne le plus fort % de chamazulène, et c’est aussi la moins chère.
– Pour le CT sesquiterpènes/sesquiterpénols, deux huiles essentielles sont assez proches : le patchouli, plus riche en sesquiterpènes (avec un ensemble varié) privilégie théoriquement l’activité anti-inflammatoire, tandis que le Genévrier de Virginie, contenant davantage de sesquiterpénols (cédrol), pencherait a priori davantage vers la tonicité et décongestion veineuse et lymphatique. Mais cela reste hypothétique pour les propriétés réelles de chacune.
– Parmi les HE sesquiterpéniques à activité spécifique, la Myrrhe est adaptée aux soins cutanés, et l’Ylang-ylang qui a un parfum très particulier (non supporté par certaines personnes) cumule plusieurs activités diverses peut convenir à certains pus servir de produit polyvalent. Le Nard de l’Himalaya peut être recherché pour ses capacités particulières à tranquilliser l’esprit.