La supplémentation en vitamine D face à la déficience quasi généralisée dans les pays occidentaux, s’est développée avec un consensus large, réunissant la médecine conventionnelle, les nutritionnistes et les approches naturelles de santé. Une telle convergence, rare, pourrait nous réjouir. Cependant, cette manière d’aborder la vitamine D repose sur une logique trop simpliste et pourrait bien se révéler erronée. Les apports de plusieurs études récentes devraient questionner sur l’intérêt des supplémentations systématiques en vitamine D, alors qu’il ne se passe rien en ce sens. La remise en cause semble difficile…
Vitamine D, essentielle au fonctionnement des organismes
La vitamine D est le précurseur d’une hormone dont la fonction la plus anciennement connue concerne le métabolisme du calcium. Elle s’observe facilement par les conséquences osseuses de la carence : rachitisme chez l’enfant, ostéomalacie chez l’adulte.
Il y a deux voies naturelles pour en disposer : la synthèse interne à partir du cholestérol en présence d’un certaine qualité d’ensoleillement, et l’apport alimentaire.
Plus récemment, la recherche fondamentale a mis en avant d’autres propriétés, notamment un effet neuro-protecteur, une capacité à limiter la prolifération cancéreuse et à moduler l’immunité. De ce fait, elle est impliquée dans de nombreux processus biologiques dont de dysfonctionnement pourraient favoriser les maladies dégénératives et les cancers.
Observation du lien entre déficience et maladies
Parallèlement, de multiples études d’observation ont établi des corrélations entre les taux sériques au-dessus d’un certain seuil et la réduction de l’incidence de diverses maladies : cardiovasculaires, auto-immunes, neurodégénératives, cancers… Parallèlement, des études d’observation montraient qu’en zone tempérée, une nette majorité de la population (jusqu’à 80 %) n’a pas ce niveau protecteur.
Progressivement, une idée a fait son chemin : augmenter les apports en vitamine D pourrait prévenir de multiples maladies et améliorer la longévité. Des protocoles ont été proposés pour obtenir des dosages sanguins conformes aux attentes, ce qui a conduit à préconiser des apports quotidiens de plus en plus élevés, dépassant largement ce qui était admis auparavant.
Comment nous sommes collectivement tombés dans le piège de la pensée linéaire !
Au départ, il y a donc des études d’observations qui montrent une corrélation entre faible taux de vitamine D et maladie, et des recherches fondamentales qui découvrent le rôle majeur de cette vitamine dans divers processus qui préservent la santé. Cela a conduit naturellement à supposer un lien de causalité entre la déficience et la maladie.
Le piège classique d’un fonctionnement mental qui n’a intégré la complexité fait d’une corrélation un lien de causalité. Notre logique linéaire ne cesse de faire des flèches qui enchaînent les causes à effets, pour construire un modèle mécanique qui rentre facilement dans notre cerveau. Et nous oublions alors, ce que pourtant nous savons : les organismes ne sont pas des machines répondant à une logique linéaire. CE sont des systèmes complexes qui répondent à une dynamique non-linaire.
La plupart des articles parus, hors des revues scientifiques, sur le déficit en vitamine D précisent bien qu’une corrélation n’est pas une causalité. Il faut attendre les études d’intervention pour se prononcer… mais avec le temps, ce détail s’oublie, et la complémentation est de plus en plus présentée comme la solution. Si bien qu’aujourd’hui que le bénéfice de la complémentation est largement enseigné, diffusé, répété, jusqu’à ce que celle-ci devienne consensuelle.
Le précédent du cholestérol
Dans les années 1950, la corrélation établie entre une cholestérolémie élevée et les maladies vasculaires a conduit à l’hypothèse qui considère le cholestérol comme un facteur athérogène, d’autant plus qu’on le retrouve dans la lésion athéromateuse. On a alors conçu des médicaments qui le font baisser, ce qui fonctionne bien et peut se vérifier facilement. Bien plus tard, alors que le risque lié au cholestérol était bien ancré dans les croyances, il est apparu que celui-ci ne se fixe sur les artères que s’il est oxydé, et que le réduire par un médicament n’améliore pas la prévention des accidents vasculaires. En revanche, un certain mode de vie, qui abaisse naturellement la cholestérolémie chez une majorité de sujets, par rapport à leur niveau naturel déterminé par leur génétique, est réellement protecteur.
La corrélation vient du fait que taux de cholestérol et le risque vasculaire moyens d’une population dépendent d’un même facteur : le mode de vie, sans avoir entre eux de lien direct de cause à effet. La cholestérolémie est un voyant, pas un facteur de risque. Et éteindre le voyant ne diminue pas le risque !
Des facteurs communs à la source d’une vitamine D abaissée et d’un accroissement des maladies ?
En faisant le parallèle entre cholestérol et vitamine D, nous pourrions aussi considérer qu’un taux de vitamine D est un voyant, associé à un risque, et qu’éteindre le voyant ne réduit pas le risque.
Trois facteurs sont aujourd’hui connus pour faire baisser le taux de vitamine D : un manque d’exposition au soleil, un surpoids important, et un déficit en magnésium. Les conséquences d’un manque d’ensoleillement peuvent-elles se réduire à un déficit de vitamine D ? On peut penser que la lumière du soleil a bien d’autres fonctions sur les organismes, qui pourraient être amoindries par un défaut d’exposition. Le surpoids important conduit à séquestrer la vitamine D dans les adipocytes, ce qui diminue son taux sanguin. Le lien entre un surpoids conséquent et la santé est connu, indépendamment du rôle de la vitamine D. Pour le magnésium, les conséquences néfastes d’une déficience sur la santé générale sont connues depuis longtemps.
Il pourrait y avoir aussi d’autres facteurs qui contribuent à abaisser la vitamine D, tout en fragilisant la santé, contribuant ainsi à allumer le voyant quand les conditions de santé générale se dégradent.
La vraie solution : les études d’intervention
Si le taux de vitamine D est un simple témoin, observer sa remontée après une complémentation est comme observer l’extinction du voyant après avoir coupé son interrupteur. Cela n’a rien changé d’autre ! De même, constater la baisse de la cholestérolémie après un traitement aux statines, est indépendant de la protection vis-à-vis des accidents vasculaires, qui n’est pas améliorée.
La seule manière de valider l’utilité des complémentations en vitamine D est d’effectuer des études d’intervention, c’est-à-dire comparer une population qui prend un supplément à une population témoin qui n’en prend pas. Les premières études publiées en 2013 faisant la synthèse des travaux à ce sujet ne montrent pas de bénéfices significatifs de la complémentation préventive.
Pour confirmer clairement cela, trois études d’intervention de grande ampleur ont été entreprises : VITAL aux USA, FIND en Finlande, et VIDAL en grande Bretagne. L’étude américaine a livré ses premiers résultats après 5 ans : Il n’y a pas de bénéfice clair sur l’incidence des cancers et des maladies cardio-vasculaires avec un apport de 2000 UI/j, chez des sujets légèrement déficitaires. Pourquoi ce résultat tant attendu a été si peu relayé ?
Quel est le bon taux de vitamine D ?
Comme nous ne sommes pas des machines, il est probable que le bon taux de vitamine D soit différent selon chacun, et que la norme collective indique une case théorique qui ne convient pas à tous.
Les normes actuelles de vitamine D dans le sang, qui varient selon les sources, semblent davantage répondre à des objectifs déduits des corrélations entre taux élevés et bénéfice santé, qu’à la moyenne d’une population en bonne santé, comme cela se fait généralement. Comment a-t-on établi une norme qui exclut plus des trois quarts de la population ?
Trois publications récentes sur le lien entre taux de vitamine D et mortalité (Université John Hopkins – 2013, Eirik Degerud/Jutta Dierkes – 2018 et Peter Schwartz – 2018), avec des chiffres légèrement différents, parviennent à la même conclusion : l’optimal se trouve dans les valeurs intermédiaires. Trop peu se révèle néfaste, mais trop également ! L’idéal semble se situer entre 20 et 30 ng/ml. Un taux inférieur à 15 ng/ml représente un risque réel, ce qui n’est pas surprenant. Plus inattendu : un taux > 40 ng/ml est également associé à une surmortalité, toutes causes confondues.
Est-il adéquat de se supplémenter ?
Les études montrant une surmortalité liée à des taux élevés de vitamine D ne sont que des corrélations. Ne tombons pas à nouveau dans le piège en faisant des conclusions hâtives.
Cependant, ces corrélations vérifiées par plusieurs chercheurs, et l’absence de bénéfice révélé par les premiers résultats de l’étude VITAL, invitent à réfléchir sur l’utilité de supplémenter des personnes qui ne sont pas en carence avérée. Cela pourrait se révéler dans les années à venir non seulement inutile, mais aussi néfaste dans certains cas.
Il n’est pas question ici de remettre en cause la supplémentation qui prévient d’un rachitisme irréversible quand le risque est élevé ou que les premiers signes se manifestent, ni celle qui corrige les carences avérées ou obtient des résultats thérapeutiques démontrés.
On pourrait se poser des questions sur la complémentation systématique des nourrissons avec des doses importantes (bien supérieures à ce que pourrait apporter une alimentation). L’effet préventif sur le rachitisme est certes efficace, mais qui se pose la question sur les éventuels effets collatéraux de ce traitement ? Le développement humain s’est fait dans des conditions environnementales qui n’ont jamais permis de tels apports ! Selon la médecine anthroposophique (Georg Soldner – Individual paediatrics ; Wilhelm Zur Linden – Mon enfant. Sa santé, ses maladies), un apport trop important de vitamine D pourrait nuire au développement de l’enfant, notamment en accélérant certains processus de calcification. Cela n’est certes pas démontré selon les critères de l’Evidence Base Medecine, car in faudrait un regard de celui qui se focalise sur la prévention des risques connus sans se préoccuper des risques encore inconnus.
Quant à la supplémentation systématique des adultes, il s’agirait de se questionner sur une mode qui s’est développée sans respecter les vérifications que demande une démarche scientifique. Et de savoir se remettre en cause face à diverses observations qui mettent le doute sur des bénéfices supposés de manière prématurée, par un raisonnement trop simpliste.
En nutrition, se focaliser sur un détail conduit souvent à s’éloigner de l’essentiel, qui est peut-être trop simple pour que l’on s’y intéresse…
EN RÉSUMÉ
1. La vitamine D est un élément indispensable de la biologie, il n’y a pas de doute sur toutes les fonctions démontrées, il n’y a cependant pas de données fiables pour déterminer à partir de quel seuil de déficience, pour une personne donnée, l’affaiblissement de ces fonctions est préjudiciable pour la santé, à l’exception d’un niveau de carence connu depuis longtemps qui conduit au rachitisme chez l’enfant et à l’ostéomalacie chez l’adulte.
2. La corrélation entre un niveau suffisant de vitamine D circulante dans le corps et la réduction du risque de certaines maladies est clairement établie, mais cela ne dit pas si ce niveau de vitamine D est simplement le témoin d’un état de santé général qui protège des maladies, ou si un taux plus bas est en cause dans les processus pathologiques qui conduisent à ces maladies.
3. En conséquence, rien ne prouve qu’augmenter le niveau de vitamine D par la supplémentation conduise aux mêmes bénéfices qu’un taux naturellement haut obtenu par un mode de vie favorable. Les résultats de la seule grande étude d’intervention ayant livré ses conclusions (VITAL) indiquent que ce ne serait pas le cas.
4. Plusieurs recherches concordantes montrent qu’un taux de vitamine D trop élevé est associé à une augmentation de la mortalité.
5. Les données actuelles ne permettent pas de garantir le bénéfice d’une supplémentation systématique en dehors des carences avérées. Celles-ci pourraient même avoir des effets néfastes si elles augmentent trop le taux circulant. Cela pose la question d’une abstention, par principe de précaution.
☛ Les diverses sources et références sur lesquelles s’appuie cet article sont en lien dans le texte.
La vitamine D joue plusieurs rôles clés dans le fonctionnement de l’organisme, dès la plus tendre enfance. Elle nous est indispensable et bénéfique. J’ai lu ici https://www.naturaforce.com/tout-savoir-sur-les-vitamines/vitamine-d/ que d’autant qu’une supplémentation excessive de vitamine D peut avoir des conséquences néfastes sur la santé. L’idéal est donc de réaliser régulièrement un bilan sanguin et d’adapter la supplémentation avec son médecin, en fonction des résultats obtenus.
Il est vrai que les résultats de l’étude VITAL ont été bien peu commentés. Ils l’auraient sans doute été davantage s’ils avaient été plus favorables…
Aucun effet préventif observé sur 5 ans. Peut-être une amélioration de survie chez les personnes ayant déjà un cancer ? Et donc rien qui ne soit en faveur de la complémentation préventive à haute dose aujourd’hui largement préconisée.
Cela a été évoqué le 12 mars par Dominique Dupagne dans une chronique radio :
https://www.franceinter.fr/emissions/sante-polemique/sante-polemique-12-mars-2019