Les greffes d’organes ont montré leur efficacité dans des situations pathologiques sans autre solution curative satisfaisante. Elles sont cependant limitées par une insuffisance de dons, et entachées par les dérapages d’une organisation difficile à mettre en oeuvre. Au coeur de cette réalité complexe, il y a la liberté de chacun, qui se manifeste par l’expression d’un choix.
Face A : des vies sauvées par le progrès médical
Personnes ne peut le nier, le développement des greffes a permis de prolonger certaines existences, parfois de manière importante. Lors des insuffisances rénales graves, elles améliorent les conditions de vie en évitant les dialyses. Cette avancée incontestable de la médecine en terme de résultats immédiats allie la prouesse technologique au don d’organe. Le don est un maillon essentiel qui fait entrer dans le champ de l’éthique. Donner ses organes est un acte d’amour dans une humanité en recherche de valeurs. Un acte qui permet de sauver des vies.
Vu sous cet angle, tout est beau, tout est bien. Il ne reste plus qu’à organiser une chaîne de dons qui réponde à une demande grandissante d’organes, actuellement non satisfaite. Un grand nombre de receveurs potentiels sont ainsi en attente incertaine d’un téléphone qui sonne, parfois comme seul espoir de ne pas mourir. Une situation bien difficile à vivre ! En France, l’Agence de Biomédecine sensibilise la population pour qu’elle fasse le choix du don. Cela permet, en cas de décès prématuré, le prélèvement immédiat de tout ce qui peut être greffé sur un autre organisme. Mais envisager notre propre mort pour sauver des vies n’est pas le plus aisé. Et l’inertie est grande pour aller dire oui !
Il y a une autre forme de don : celle de son vivant. Elle est courante pour le sang (transfusions), la moelle, avec un traumatisme très faible et une absence apparente de conséquences. Elle est aussi possible pour le rein (10% des greffons viennent de donneurs vivants), et dans certains cas pour le foie dont on ne prélève qu’une partie. Il y a évidemment un potentiel beaucoup plus grand de ce côté-là. Le prélèvement et le transfert, qui ne sont plus suspendus à l’attente d’un décès, sont plus aisés à organiser. D’autre part, pour un rein, la survie de l’organe dans l’hôte est généralement meilleure s’il est prélevé sur un donneur vivant. Reste à trouver les volontaires, celles et ceux qui ont une capacité de don allant jusqu’à offrir un peu de leur corps. Et là aussi, pas de bousculade ! Alors des campagnes de sensibilisation se mettent en place.
Face B : des dérapages qui salissent la beauté d’un système
La pénurie de greffons crée une situation de tension : d’un côté des receveurs potentiels plein d’espoir (plus de 16 000 non satisfaits en 2011 !), de l’autre un manque de donneurs. Une tension qui conduit fatalement à certains dérapages.
Le plus flagrant est le trafic d’organes. Leur commerce est interdit, mais comme beaucoup d’interdictions, celle-ci peut être contournée. Les rumeurs de rapt d’enfants auxquels on vole un rein ou une cornée qui implique l’énucléation, n’ont pas été vérifiées. En revanche, les volontaires prêts à vendre un organe sont nombreux dans certaines contrées défavorisées. Un rapport récent estime qu’au moins 10% des reins greffés dans le monde proviennent d’un circuit clandestin. Un trafic qui risque de se développer avec l’accroissement conjoint de la demande d’organes et de la pauvreté dans certains pays. Une aubaine qui pourrait intéresser des trafiquants en mal de marchandises…
L’autre déviance est plus proche de nous et plus subtile. Elle est bien illustrée par le film « Tout sur ma mère » de Pedro Almodovar. On y voit comment la décision de prélever des organes est prise en cas de mort cérébrale, dans l’urgence, avec une inévitable pression sur la famille afin qu’elle dise oui au plus vite. Car le temps presse ! La contrainte technique d’agir vite est difficilement compatible avec le respect des proches qui sont déjà écrasés sous le poids d’un drame. L’accord qu’on leur demande peut être difficile à donner, en conflit avec la culpabilité de ne pas donner. Il y a quelque chose qui semble contre nature. Nous sommes loin du contexte de respect et de recueillement que demande la confrontation brutale avec la mort…
Il y a aussi de la bienveillance des soignants dans ces situations. Il est cependant clair qu’au-delà de la qualité humaine des intervenants, le contexte crée une inévitable pression. Le besoin en urgence d’un organe, associé à la certitude de bien faire en permettant de le prélever, influe forcément sur la manière dont sont gérés les accidentés et le rapport avec leurs proches. Le besoin de greffons risque fort de conditionner, de plus en plus, la prise en charge des personnes qui se retrouvent aux portes de la mort. Face à celui qui va sûrement mourir, pour qui il reste peut-être quelque chose à tenter, mais au risque de détériorer la qualité de ses organes, comment ne pas voir ceux qui pourraient revivre grâce à une greffe ! Le conflit d’intérêt est inévitable.
Progrès de la médecine ou engrenage pervers d’une stratégie de soin contre nature ?
Les deux faces de la greffe d’organe posent une question de fond sur le développement de la transplantation comme technique de soin. On peut se demander si c’est un réel progrès pour l’ensemble de l’humanité, ou un engrenage dans lequel on s’est engagé avant de se questionner, pour se rendre compte plus tard qu’on ne peut plus en sortir !
Le soin par greffe imaginé et expérimenté dès le début du XXesiècle (avec des échecs retentissants !) est la conséquence d’une modélisation mécaniste de l’organisme. En le soignant comme on répare une machine, la solution ultime est le remplacement des pièces défaillantes. Ce modèle d’homme-machine, proposé par Julien de La Metterie en 1747, a eu ses heures de gloire. Il est indéniable qu’il permet de vrais succès. Mais on sait aujourd’hui que cette représentation est bien loin de la réalité biologique. Et il Indéniable aussi qu’elle échoue face aux maladies de civilisation.
Transplanter un organe peut se concevoir d’un point de vue organique, le traitement immunosuppresseur évitant le rejet par le système immunitaire. Ce traitement permanent, contre nature, montre bien à quel point il a quelque chose de forcé, qui est payé par des effets secondaires non négligeables. Au-delà du modèle mécaniste qui est encore la référence médicale : qu’en est-il d’un point de vue vibratoire ? Quelles sont les conséquences plus globales d’un acte qui transgresse l’intégrité d’un organisme, toujours préservée par les traditions ? En jouant aux apprentis sorciers avec des lois qui nous dépassent, on ne peut prévoir toutes les conséquences, et certaines se manifestent parfois tardivement.
A l’opposé de ces questions philosophiques, un autre point de vue met en avant que le greffé survit, et que le reste n’est qu’un prix à payer. Et nous interroge sur la motivation du choix : des valeurs profondes qui essaient de guider une action cohérente, ou une efficacité visible qui répond au besoin immédiat ?
Une autre question très pragmatique qu’il faudrait peut-être se poser est la pertinence de foncer tête baissée dans une stratégie de transplantations, quand on connaît ses dérapages inévitables et son budget colossal. Ce budget ne pourrait-il pas être investi autrement… pour d’autres priorités dont bénéficierait la santé globale des populations ?
L’importance de se positionner et de choisir
Il est trop tard pour remettre en cause collectivement la politique de greffe, le train est en vitesse de croisière et pourra difficilement s’arrêter. C’est désormais la croyance personnelle qui voit la transplantation comme une prouesse thérapeutique ou une violation des principes de vie. On y adhère ou pas. On entre ou pas dans ce processus. On cautionne ou pas ce choix de société. L’importance reste le respect de la liberté de chacun dans le contexte que l’on connaît désormais.
Pour certaines personnes, recevoir un organe étranger est inconcevable, tout comme se faire dépouiller d’une partie de son corps, alors que le processus de mort est en cours. Cela est ressenti comme le viol d’un sanctuaire. Cette position peut sembler anachronique ou égoïste pour une science qui ne croit qu’aux résultats de ses expériences et pour qui la mort n’est que la porte du néant. Elle doit malgré tout être respectée. La loi française le permet, puisqu’elle a mis en place un registre du refus, systématiquement consulté avant de mettre en route le processus de prélèvement. Et lorsque celui-ci est initié, sa mise en œuvre est toujours suspendue à l’accord donné par les proches qui sont présents ou joignables.
Il nous appartient donc de nous positionner et d’exprimer notre choix. Soit en nous inscrivant sur le registre des refus, soit en faisant savoir à notre entourage que nous sommes donneurs, ce qui peut être formalisé par une carte. Dans un cas comme dans l’autre, nous évitons à nos proches, s’ils se retrouvent un jour sous le choc de notre disparition brutale, de devoir aussi porter le choix du devenir de nos organes.
Début novembre 2012, la presse évoque le cas d’une chômeuse espagnole qui a mis ses organes en vente sur Internet, y compris sa cornée ! Émoi face à la détresse économique qui peut toucher certaines personnes dans ce pays. L’occasion de rappeler que de telle pratiques sont impossibles dans nos pays où seul le don est autorisé… Mais la vente d’organes, déjà courante dans certains pays, est une dérive inévitable du contexte actuel, dans lequel on a fait naître l’espoir de guérison par les greffes alors qu’il n’y pas la possibilité concrète de disposer de suffisamment de greffons