Les oméga 3 ont progressivement envahi les catalogues de compléments alimentaires, les pharmacies, mais aussi les médias et les publications scientifiques. Ce qui était au départ très simple : améliorer la santé en supplémentant l’alimentation avec ce qui lui manque, est en train de devenir de plus en plus compliqué avec des produits de plus en plus spécialisés. Ne sommes-nous pas en train d’oublier l’essentiel ?
1) Michel Odent, précurseur en France de l’importance négligée des oméga 3
J’ai découvert l’intérêt des oméga 3 en santé au cours de l’automne 2003, lors d’une conférence sur le sujet donnée par Michel Odent, qui développait une hypothèse selon laquelle le cadre de vie favorable aux humains ne peut être éloigné du milieu marin (ce qui avait déjà été évoqué du fait du besoin en iode et du crétinisme résultant d’un manque durable). À cette époque, les produits à base d’huile de poisson existaient et l’un d’eux était vendu en pharmacie comme protecteur cardio-vasculaire. Mais il faut bien le reconnaître, les oméga 3 étaient bien peu connus, alors qu’aujourd’hui, qui n’en n’a pas entendu parler ?
2) David Sevan-Schreber : popularisation des oméga 3
Entre temps, il y a eu le livre de David Servan-Schreiber : Guérir, proposant une complémentation d’oméga 3 comme solution à la dépression et le lancement médiatisé par une société à laquelle il était lié de produits contenant ces précieux acides gras. Depuis, les spécialités se sont multipliées. Tous les laboratoires de compléments ont leur oméga 3, rivalisant d’innovation pour se démarquer. Les études cliniques montrant telle ou telle propriété bénéfique de l’EPA ou du DHA, les deux formes actives de la lignée oméga 3, inondent les revues et les sites d’information.
Physiologiquement, il y a une base indéniable. Les acides gras polyinsaturés sont des facteurs vitaminiques, c’est-à-dire qu’ils sont à la fois indispensable à notre métabolisme et que notre organisme ne sait pas les fabriquer. Ils doivent donc être apportés par l’alimentation. En théorie, il n’y a que deux acides gras essentiels : l’acide linoléique (LA) précurseur de la lignée oméga 6 et l’acide alpha linolénique (ALA), précurseur de la lignée oméga 3. Le métabolisme cellulaire est en principe capable de produire les autres formes biologiquement actives, dont l’EPA et le DHA. En pratique, l’enzyme qui permet cette conversion (la Delta 6 Désaturase) est bien souvent défaillante, du fait du vieillissement et/ou du mode de vie occidental. D’où l’insuffisance de l’apport d’ALA par les végétaux (huile de lin, de perilla, de noix, de colza, etc.) et la nécessité de sources animales contenant directement l’EPA et le DHA (poissons gras, œufs de poules nourries aux graines de lin). Et c’est là que se situe le problème. La plupart des occidentaux ignorent ces huiles, consomme des œufs sans oméga 3 et bien peu de poissons gras. D’où l’inévitable carence !
3) Catherine Kousmine en avant garde de la nutrithérapie
Dès l’après guerre, Catherine Kousmine avait montré les conséquences de la raréfaction des acides gras essentiels (qu’elle appelait vitamine F) sur la santé et obtenait des résultats étonnants face à des maladies graves en s’appuyant sur un changement alimentaire. Ce n’est que bien plus tard que l’intérêt de la nutrithérapie capable de corriger les carences de l’alimentation moderne est sorti du microcosme kousminien et naturopathique pour devenir un courant thérapeutique qui ne cesse de se développer, avec un grand succès, et aussi ses déviations.
4) Nécessité des oméga 3 et questionnement sur l’excès
Le succès est pour moi d’une évidente simplicité. L’organisme a besoin pour son fonctionnement de substances alimentaires qu’il ne peut fabriquer : vitamines, minéraux, antioxydants, acides aminés et acides gras essentiels. L’alimentation occidentale moderne n’apporte pas tous ces éléments. De ce fait le terrain biologique se fragilise et facilité le développement de syndromes chroniques et de maladies. En apportant par la complémentation ce qui manque, le corps retrouve son potentiel et restaure un niveau plus élevé de bien être, favorable à la guérison. Nous sommes bien là dans une approche nutritive, pleinement respectueuse du processus vivant.
La déviation, je la vois dans le fait de vouloir en obtenir davantage, en ciblant les apports à forte dose en fonction d’essais cliniques pour répondre à des situations précises. Les études abondent (et se contredisent parfois) pour préconiser tel nutriment à telle dose dans telle pathologie. Cette nutrithérapie orthomoléculaire est devenue une science compliquée, que seules des spécialistes bien formés peuvent pratiquer correctement. Nous ne sommes plus dans le mode nutritif, puisqu’il ne s’agit pas seulement de combler des carences mais de forcer un processus pour obtenir un résultat. Comme un médicament, les effets secondaires immédiats en moins ! Mais peut-on parler de respect du processus vivant ?
Les oméga 3 n’ont pas échappé à cette évolution. Aujourd’hui, les huiles de poissons simples, à partir desquelles ont été faites les grandes études montrant les effets positifs sur la prévention cardio-vasculaire et la santé cérébrale, sont ringardisées. On propose des formes plus concentrées ou vectorisées par des phospholipides pour favoriser leur assimilation. As-t-on vraiment besoin de toujours plus ?
La simplicité naturelle, c’est de consommer des huiles de première pression à froid contenant des oméga 3 (notamment celle de colza), des œufs bios et du poisson gras deux ou trois fois semaines. Ainsi nos besoins sont couverts et le carence ne produits plus ses effets. Pour ceux qui n’aiment pas le poisson, les compléments classiques contenant 18% d’EPA et 12% de DHA (les proportions naturelles) le remplacent de la manière la plus naturelle. C’est à ce niveau que les oméga 3 ont fait leurs preuves et sont une indéniable facteur de santé globale.
Pour ceux qui sont convaincus que l’on peut se soigner par l’overdose, il y a tous ces nouveaux produits. Cela peut être efficace sur le conseil avisé un spécialiste. Mais cessons de dire que c’est une approche naturelle respectueuse du processus vivant !
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Illustration : Lucio Alfonsi – Pixabay
Merci pour cette analyse pertinente de la question de la supplémentation en oméga 3. A noter que pour que les œufs soient une bonne source d’oméga 3, les poules doivent manger des aliments qui en contiennent, comme les graines de lin ou de colza et des asticots ! Les poules nourries au maïs, riche en oméga 6, donnent des œufs bien jaunes et bien pauvres en oméga 3.
Ce détail sur les œufs n’est pas anodin… Il rappelle que les oméga 3 que l’on trouve dans certains œufs (comme ceux du poisson) sont déjà transformés à partir des précurseurs végétaux (acide alpha linolénique) et donc sous forme d’EPA et DHA déjà prêts à l’emploi pour nos organismes qui ont de plus en plus du mal à faire cette transformation quand nous passons au-delà de la quarantaine. Mais si pour les poissons les taux sont à peu près constants, pour les œufs, il y a une grande variation suivant l’alimentation des pondeuses. Et il est bon de temps en temps de tordre le cou à des illusions bien répandues, comme celle qui jauge la qualité d’un œuf à l’intensité de son jaune. Un œuf bien jaune peut venir de la ferme du coin mais aussi de poules de batterie nourrie au maïs transgénique ! Alors qu’un autre, au jaune pâlichon, pondu par une poule qui s’est régalée de graines de lin et d’asticots dans un coin d’herbe, sera d’une tout autre richesse nutritive.
Reste cependant un problème à résoudre. Une poule qui mange des graines des lins… c’est théorique. En pratique, elles les laissent. Avec une nutrition diversifiée, elle intègre un peu d’oméga 3. Pour en avoir des taux significatifs, il y a quelques artifices nutritionnels qui restent mystérieux !